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Ainsi parlait mon ami excentrique

 

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Ainsi parlait mon ami excentrique

Par Tarek Heggy

http://www.mideastweb.org/mon_ami_excentrique_fr.htm

Introduction

Lorsque nous étions de jeunes gauchistes, dans la seconde moitié des années soixante, notre groupe d’amis avait baptisé l’un d’entre nous « notre ami excentrique». Ce dernier était marxiste et exceptionnellement cultivé. On ne pouvait mentionner un ouvrage littéraire ou idéologique sans découvrir qu’il l’avait déjà lu. Le 5 juin 1967, on eut l’impression qu’il avait reçu un coup de poignard dans le cœur. Je me souviens qu’en ce jour fatidique, il dit, angoissé : Ce ne sont pas les branches de l’arbre ou ses fruits qui sont pourris, mais ses racines». Il s’éclipsa pendant plusieurs années qu’il passa en Europe, puis il revint, ayant rejeté toutes les idéologies. Il disait souvent : « Je crois en la science et au progrès » et, d’autres fois, « dans le monde moderne, un idéologue est un cas psychiatrique, on ne peut pas parler à ces gens-là tant qu’ils n’ont pas été soignés » ! Au cours de l’année écoulée, j’ai commencé à consigner par écrit ses épanchements enthousiastes lors de nos discussions et le texte suivant, qui en résulte, contient des observations notées au cours des rencontres qui se sont déroulées en août 2004.

Dimanche 1er août

Comme d’habitude, mon ami excentrique a commencé, ce soir, à formuler ses questions avec une ardente passion : « Dans notre région, les médias ont manipulé l’opinion publique de manière à la persuader que rien de bon ne peut sortir des Etats-Unis, que tout ce qu’ils font est mauvais et qu’avec les Arabes, ils veulent en découdre. Dans ces médias, il n’est pas question de la corruption des dirigeants palestiniens, ils n’ont rien trouvé à dire sur Sadate hormis qu’il était un « traître », pas plus qu’ils n’ont mentionné une seule fois, en quarante ans, que le triste état des relations arabo-israéliennes est le résultat des décisions malencontreuses prises par Gamal Abdel Nasser en mai et juin 1967. Ces médias n’ont jamais pris en compte l’opinion des Palestiniens cultivés qui pensent que les attentats-suicide contre Israël ont considérablement affaibli la cause palestinienne, pas plus qu’ils n’ont fait le lien entre ces attentats et l’usage excessif de la force par Israël. Les médias des pays arabes n’ont jamais osé critiquer leurs propres dirigeants ni faire la moindre allusion à la corruption invétérée de nombreuses personnalités officielles. Comment, dans ces conditions, des personnes saines d’esprit appartenant au monde civilisé peuvent-elles prendre au sérieux les options politiques d’une opinion publique manifestement façonnée par ce type de médias au sein de pays où, qui plus est, le taux d’illettrisme atteint presque 50 % ? »

Mon excentrique ami poursuit avec enthousiasme : « Ne pensez-vous pas qu’il est absurde et grotesque, pour des Arabes, d’arguer que, étant des Sémites, il est impensable de les accuser d’antisémitisme ? Tout individu possédant un minimum de connaissances sait que, depuis l’infâme Affaire Dreyfus, à la fin du dix-neuvième siècle, en France le terme d’ « antisémite » est synonyme d’ « anti-juif » - c’est-à-dire quelqu’un qui est contre les Juifs simplement parce qu’ils sont Juifs ? Pourtant certains de ces Arabes s’expriment, oralement et par écrit, d’une manière qui confirme leur hostilité envers les Juifs - simplement parce qu’ils sont Juifs - et non en qualité d’Israéliens qui ont adopté une politique que l’auteur juge inacceptable. Je suis déconcerté de voir comment un caricaturiste amené à représenter un Arabe demandant à Hitler: « Pourquoi n’avez-vous pas fini votre travail ? », ose proclamer qu’il n’est pas antisémite ! Et comment un homme de religion peut-il insulter les Juifs du haut de sa chaire en déclarant que la déloyauté et la trahison sont dans leur nature, prétexter ensuite qu’en tant qu’Arabe, et donc Sémite, il ne peut être taxé d’antisémitisme ! Il est courant, chez les hommes de religion, de dénoncer les Juifs du haut de leur chaire lors des prières du vendredi, en déversant sur eux des flots de malédictions alors qu’ils pourraient se contenter de condamner le meurtre de civils innocents en général, et quels qu’en soient les auteurs. »

Il reprend avec le même enthousiasme. « Comme vous le savez, les Arabes n’ont jamais cessé d’accuser l’Occident en général, et les Etats-Unis en particulier, d’utiliser deux poids deux mesures, et de ne témoigner aucun respect pour l’opinion internationale ; pourtant, il y a quelques mois, le monde a vu avec stupéfaction et incrédulité les Arabes remettre en question la légitimité internationale lorsqu’elle n’allait pas dans le sens qu’ils souhaitaient, à propos des événements du Soudan ; et tandis que le monde entier condamnait l’intervention Syrienne au Liban, les Arabes poussaient des cris et livraient une attaque haineuse (dirigée par le Secrétaire Général de la Ligue Arabe) contre la communauté internationale. Les Arabes ont manifesté une attitude du même genre, mais aux conséquences infiniment plus graves et désastreuses, lorsque, en 1947, ils ont voté contre la résolution internationale sur le partage de la Palestine en deux Etats, l’un Arabe, l’autre Juif - ce qui a conduit, en 1949, à la première confrontation catastrophique avec Israël qui s’est soldée par l’acquisition, par ce dernier, d’un territoire beaucoup plus vaste que celui qui lui avait été conféré à l’origine par la résolution des Nations Unies de 1947. Pourtant, ces mêmes Arabes danseraient littéralement de joie si, par une ironie du sort, les Nations Unies leur proposaient aujourd’hui le même choix qu’en 1947… Selon Bill Clinton, l’ex-président des Etats-Unis, dans un ouvrage publié en juin dernier, les Arabes seraient fous de joie si, dans quelques années, les Nations Unies leur faisaient exactement la même offre que celle que Yasser Arafat a repoussée à Camp David, il y a quatre ans. Ceci est un exemple frappant de l’aptitude à la « prospective » et de la perspicacité de certains de nos dirigeants Arabes actuels. J’aimerais vous conseiller d’acheter le livre de Dennis Ross, publié récemment, qui fournit une large preuve de la manière dont Yasser Arafat a manqué une occasion qui ne se représentera probablement jamais plus à son peuple assiégé. »

Mon ami excentrique abandonna alors son discours habituel et me posa une grave question : « Pensez-vous qu’il y ait la moindre lueur d’espoir dans cette sinistre situation où le seul souci de nos dirigeants est de rester au pouvoir ? » Je répondis par un « Oui ! » ferme. Je pense réellement, avec optimisme, que l’ère du totalitarisme approche de son terme, que les libertés civiles sont en train de devenir une réalité et que les réformes politiques, économiques, éducatives et celle des médias vont se réaliser (« que cela plaise ou non », comme Arafat aimait à le dire). Je pense aussi qu’un Islam modéré l’emportera ; un Islam qui croit implicitement en la coexistence avec les autres et ne proclame pas qu’une secte est supérieure à une autre ; un Islam qui définit le Djihad ou la guerre sainte comme légitime autodéfense et non comme la bonne parole que l’on répand par l’épée ; un Islam qui soutient de tout son coeur la marche de la civilisation humaine vers la démocratie, les libertés civiles et les sciences sociales. Je suis fermement convaincu que cet Islam véritable finira par triompher et que l’Islam des cavernes et des caches, du meurtre brutal de civils innocents, des ceintures d’explosifs et des voitures piégées, sera bientôt relégué au musée du Démon. A plus petite échelle, il se passe beaucoup de choses encourageantes. Le Liban, par exemple - même si, au lieu d’enseigner à ses voisins la démocratie et le respect de la constitution, il semble plutôt avoir appris d’eux le contraire, comme en ont témoigné des événements récents - s’est, en fait, rapproché d’eux. Il y a plus d’une raison de croire en l’avenir du Liban. Je n’ai pas de mots pour exprimer l’étendue de mon admiration devant le courage des quatre ministres Libanais qui ont présenté leur démission en protestation contre les « modifications » de la constitution entreprises pour servir les intérêts du chef de l’Etat et non ceux de son peuple. Ils ont fait preuve de noblesse et, bien que trois d’entre eux appartiennent à un groupe dirigé par un homme que je respecte mais avec lequel je suis en désaccord total sur le plan des idées – Walid Joumblatt - j’affirme que ce dernier, de même que les trois ministres en question, méritent un respect et une admiration sans bornes de la part de chacun d’entre nous. Je ne peux cacher ma déception devant la réaction à cet événement capital, une réaction qui ne fait que confirmer une fois de plus que la démocratie n’est pas, semble-t-il, une priorité chez la majorité des politiciens arabes.

Les Arabes qui poussent des cris de protestation contre la présence américaine en Irak n’ont pas émis le moindre murmure lorsque l’un des plus infâmes criminels que l’histoire moderne ait connu a pris le contrôle de ce pays de 1968 à 2003, jusqu’à sa capture humiliante (pris comme un rat dans un trou creusé dans la terre). Ces Arabes-là, qui sont demeurés indifférents devant les atrocités commises par les tribus Soudanaises Arabes contre les tribus Soudanaises d’origine Africaine (les deux étant Musulmanes) et ont minimisé l’étendue des crimes perpétrés contre eux, ont poussé des cris lors de l’intervention de l’ONU dans les affaires Soudanaises, avec, à leur tête, le Secrétaire Général de la Ligue Arabe. Comme si la souveraineté du Soudan était plus importante que la vie des milliers de Soudanais massacrés ou sans abri. Cette manière de raisonner n’est-elle pas glauque ? »

Dimanche 8 août

Ce soir, mon singulier ami nous a inondés de questions et de remarques.

« Comment se fait-il », a-t-il dit, « que pas un seul écrivain d’un pays arabe n’ait tenté d’imaginer un scénario différent de celui qui s’est déroulé en 1948, de spéculer sur ce qui se serait passé si les Arabes avaient accepté le plan de l’ONU de partage de la Palestine en deux Etats séparés, l’un Arabe (la Palestine) et l’autre Juif (Israël) ? Quelle tournure les événements auraient-ils pris si cela s’était passé ainsi ? Le choix de nos dirigeants de l’époque a-t-il réalisé la prophétie d’Ismaïl Sidki en 1947, lorsqu’il a averti qu’en cherchant à atteindre l’inaccessible, nous perdrions ce qui était accessible ? »

Sans attendre de réponse, il passa à la question suivante : « Les Frères Musulmans ont toujours été d’ardents partisans de la résistance armée et ont été parmi les premiers à répondre à l’appel aux armes, en 1948. Comment se fait-il que d’éminents historiens comme le Dr Abdul Azim Ramadan et le Dr Yunan Labib Rizk n’aient jamais analysé le mouvement armé lancé par les Frères en 1948 ni les résultats qu’ils ont obtenus ? Pourquoi ne nous donne-t-on pas accès aux faits à prendre en compte lorsqu’on les entend user de la même logique aujourd’hui encore ? Pourquoi ne nous raconte-t-on pas les catastrophes que leur zèle a fait pleuvoir sur nos têtes ? »

Avant que j’aie eu le temps de répondre, il abordait déjà la question suivante :

« Est-ce que vous réalisez que si nous réussissons à obtenir qu’on nous restitue les hauteurs du Golan, les fermes de Shaba, la Cisjordanie et Jérusalem, nous ne ferons que récupérer ce que nous avons perdu en l’espace de six sombre journées de juin 1967 ? Et même si nous nous débrouillons pour récupérer nos territoires perdus, serons-nous jamais capables d’annuler les effets dévastateurs que ces trente-sept années ont eu sur notre région du monde ? »

De nouveau, il ne me donna aucune chance de répondre avant de me bombarder d’une autre question : « Pourquoi aucun écrivain, aucun intellectuel n’a tenté d’expliquer ce qui se serait passé si les Palestiniens et les Syriens avaient accepté l’invitation du Président Sadate à se joindre à lui dans les négociations avec Israël, il y a un quart de siècle ? Ni ce qui serait arrivé si les résultats obtenus à Taba, il y a quarante mois, avaient été acceptés par Arafat et les dirigeants Palestiniens ? Qu’est-ce qui est plus avantageux : ce qu’Arafat a rejeté à l’époque ou la feuille de route ? Et si ce qui était offert à Taba est meilleur que ce qui est proposé aujourd’hui selon la feuille de route, qui doit être tenu pour responsable des vies sacrifiées, des pertes encourues, du gaspillage de temps ? La notion de responsabilité est-elle étrangère au monde arabe ? »

En respirant un bon coup, je me préparai à me lancer dans les eaux troubles que ces questions avaient remuées mais, avant de pouvoir formuler une réponse, il était prêt pour sa cinquième question : « Que pensez-vous, dit-il, d’un plan d’action par étapes, comme suit :

Premièrement : Convaincre Arafat de nommer comme Premier Ministre Mahmoud Abbas (Abou Mazen) et de lui déléguer la plus grande partie de ses pouvoirs.

Deuxièmement : Qu’Arafat dénonce l’usage aveugle de la violence par les Israéliens et les Palestiniens ; qu’il appelle le Djihad Islamique, le Hamas et la Brigade des Martyrs d’El Aksa à cesser de s’attaquer aux civils.

Troisièmement : Deux ou trois semaines après la réalisation de ces étapes, qu’Arafat annonce qu’il doit se rendre au Caire pour raisons de santé et qu’il nomme Abou Mazen président par intérim pendant son absence, qui pourrait durer aussi longtemps que l’exige le traitement de ses nombreuses pathologies.

Quatrièmement, Abou Mazen reprend alors les négociations avec les Israéliens dans le but de mettre en application la feuille de route et même, si possible, les accords conclus à Taba lors des derniers jours de la présidence de Bill Clinton.

Cinquièmement : L’Egypte pourrait coordonner et superviser ce plan et tenir Washington informé de tous les développements afin que les Etats-Unis et Israël en viennent à reconnaître que le plan de paix n’est pas une initiative uniquement Egyptienne mais que seule l’Egypte peut le faire aboutir.

Sixièmement : Tandis que les entretiens palestino-israéliens progressent, l’Egypte annonce que dès qu’un accord acceptable par les deux parties sera conclu, elle utilisera tous les outils culturels et médiatiques dont elle dispose pour mener la région vers une culture de paix.

Tandis que j’organisais mes idées pour commenter le plan qu’il proposait, il me rappela un article que j’avais écrit, quelques années plus tôt, sur la culture de paix. « Vous avez été attaqué, à cette époque », dit-il, « par un intellectuel notoire, S.Y., mais lorsque les dirigeants politiques Egyptiens ont eu la prévoyance et la sagesse de mettre sur pied une organisation dans le but précis de diffuser une culture de paix, ce même intellectuel a observé un silence prudent ! Qui sait, peut-être est-il même devenu l’un des principaux représentants d’une culture de paix, après tout, cela ressemblerait tout à fait à la race des « intellectuels bureaucrates » à laquelle il appartient. »

« Pouvez-vous concevoir une contradiction plus grande, en termes à la fois philosophiques et linguistiques », demanda-t-il avec amertume, « que celle qui existe entre les notions d’« intellectuel », et de « bureaucrate » ? Sartre a résumé le rôle de l’intelligentsia en disant qu’un intellectuel ne doit jamais devenir un « supporter », c’est-à-dire un bureaucrate ». Mon ami excentrique termina sa tirade passionnée par une déclaration qu’il ne cesse de répéter : « Les questions ont des yeux… les réponses sont aveugles ! ».

A la minute où mon excentrique ami finit d’avaler une petite gorgée, un autre ami « sain d’esprit », qui n’ouvre la bouche que rarement, fit le commentaire suivant : « M. Arafat est évidemment plus qualifié que moi pour répondre aux questions de notre ami. J’espère donc qu’il tombera sur cet article et qu’il consentira à répondre à un maximum de ces simples ( !) questions, de même qu’à celle qu’il m’a posées il y a quelques jours. La première Intifada Palestinienne a gagné la sympathie et l’admiration du monde entier parce qu’elle ne recourt pas à la violence aveugle contre des civils. Quant à l’Intifada actuelle, tout en ayant des supporters, elle a également de nombreux détracteurs qui déplorent son usage de la violence contre des civils. Même en supposant, pour le plaisir de la spéculation, que l’actuelle Intifada obtiendra de meilleurs résultats que ceux qu’elle a obtenus en janvier 2001, que fera Arafat des malabars qui montrent les pectoraux qu’ils ont développé entre septembre 2000 et aujourd’hui, et qui sont de plus en plus prêts à imposer leur volonté politique, comme ils l’ont fait aux rencontres du Caire ? Que fera Arafat (après sa grande victoire) avec le génie qu’il a fait sortir de la boîte - un génie aussi dangereux que celui que Sadate a lâché, avec des conséquences désastreuses, dans les années soixante-dix du siècle dernier ? Est-ce cela l’héritage qu’il veut léguer aux futures générations, en Palestine et dans toute la région ?

Dimanche 15 août

Mon ami excentrique a rejoint notre cercle, presque furieux. Avant même d’être assis, il a annoncé qu’il ne voulait pas disserter ni donner son opinion sur les pitoyables vérités qui caractérisent notre région. « Aujourd’hui, je me contenterai, dit-il, de poser quelques questions auxquelles je vous suggère de réfléchir ». Sans nous donner le temps de commenter sur sa nouvelle méthode, il nous asséna une flopée de questions.

« Il est devenu presque obligatoire, chez nos intellectuels, de commencer n’importe quel discours par une diatribe contre les Etats-Unis. On dirait presque qu’ils souhaitent calmer leur audience en dénonçant la politique les Etats-Unis, et en exprimant même l’espoir que les Etats-Unis échoueront dans tout ce qu’ils entreprendront. Cette manière de jouer la politique de l’apaisement est une caractéristique Arabe et Musulmane : on pense qu’on va calmer les Autres en tenant des propos lénifiants (qu’il s’agisse de dirigeants ou de simples mortels) et on garantit ainsi sa propre sécurité. Cette attitude conciliante est le résultat naturel d’une longue histoire de tyrannie et de répression, manifestée de façon extrême par l’assassinat brutal, par les Califes, de quiconque oserait rejeter leur souveraineté (l’assassinat de Yazid Ibn Mo’awiya par Al Hussein en est un exemple classique), ou par la simple soif sanguinaire psychopathique (prenez l’assassinat, par Haroun al Rachid, de son beau-frère et de tous ses proches, ou la violence brutale de Ma’moun contre quiconque s’opposait à lui, même sur des questions philosophiques). Je vous le dis, mes amis, la haine de l’Occident n’est rien de plus que la haine du progrès sous toutes ses formes. »

« Le progrès est un phénomène qui appartient à l’humanité tout entière ; il ne peut être étiqueté comme oriental ou occidental ; comme Musulman, Juif ou Chrétien ; il n’est ni Européen ni Arabe ni Chinois : il est le résultat d’une accumulation d‘efforts humains. Cependant, la force motrice ou le catalyseur qui met en mouvement ce processus est, en ce moment, l’Occident. Un rejet total de l’Occident équivaut par conséquent à celui du progrès sous toutes ses formes. Je peux comprendre qu’un Islamiste débordant d’imagination puisse être fortement attaché à la croyance infondée que lui-même et ceux qui lui ressemblent ont une alternative à proposer (bien qu’il vive, en réalité, dans la dépendance totale des fruits de la civilisation occidentale), mais l’idée que d’autres que lui puissent en avoir une le dépasse. Ma seule explication est d’ordre psychologique et je ne veux pas l’aborder, pour éviter de provoquer un désarroi plus profond. Je voudrais simplement vous rappeler notre conversation d’il y a quelques jours concernant notre collègue H.T., dont le seul crime était qu’il dépassait de loin ses pairs, comme vous l’avez unanimement reconnu. »

Avant de pouvoir dire un mot, mon ami excentrique nous posa une autre question :

« Qu’est-ce qui a conduit la majorité des dirigeants de notre région à réagir comme ils l’ont fait aux réformes suggérées par les Américains et les Européens ? Pourquoi diable ont-ils incité l’opinion publique de leurs pays respectifs (inutile de le dire, via leurs fonctionnaires, dans les médias) à s’opposer à ces réformes ? Seul Mohammed Salmawi, un écrivain de gauche, a eu le courage de dire qu’il les avait lues et qu’il n’y trouvait aucun motif d’inquiétude. Comment certains dirigeants peuvent-ils être à ce point malavisés ? La Syrie, par exemple, devra, en fin de compte, faire les quatre choses qu’on lui a demandé de faire : fermer ses frontières avec l’Irak à des candidats au terrorisme qui entrent en Irak via la Syrie ; retirer son armée du Liban; expulser Khaled Mashal et tous les dirigeants d’organisations Palestiniennes de son espèce, et s’abstenir d’utiliser le Hezbollah au lieu de l’armée Syrienne, chose qui, nous le savons tous, est en train de se produire. La Syrie devra finalement s’y plier. Alors, pourquoi le faire dans le futur à un prix terrible, si elle peut le faire maintenant dans le cadre d’un accord qui serait à son avantage ? Et pourquoi Yasser Arafat ne peut-il pas comprendre que le seul choix qui s’offre à lui est soit d’être un président respectable et de laisser quelqu’un comme Mahmoud Abou Mazen ou Mohammed Rahlan prendre la direction de l’Administration Palestinienne, soit mourir ? Il a deux options, et deux seulement, pourtant il ne parvient toujours pas à comprendre les règles du monde d’aujourd’hui.

Mon ami excentrique fit une pause pour respirer, prit une gorgée de thé et reprit ses sempiternelles questions.

« Pouvez-vous me dire quels sont exactement les objectifs du canal satellite que j’appelle Al Marira (« l’Amère ») ? – mon excentrique ami se référait, bien entendu, à Al Jazira). C’est un curieux mélange de haute technologie alliée à une agression mentale, intellectuelle et psychologique délibérée contre l’esprit des masses Arabes à propos desquelles je n’ai guère besoin d’ajouter qu’elles ne sont que trop réceptives à cette forme insidieuse d’idéologie destructive. Cette chaîne met quotidiennement de l’huile sur le feu, en transformant en héros Oussamah ben Laden et ses complices et des terroristes Irakiens (qui tuent leurs concitoyens Irakiens aussi bien que les Turcs, Egyptiens et Pakistanais et qui demandent des rançons contre la liberté de leurs otages !) Oui, cette chaîne Al Marira présente ces vauriens comme de véritables héros ! Il y a quelques jours, l’un de ses présentateurs - en l’occurrence une présentatrice -, Jomana Namur, ne pouvait contenir sa joie lorsque la chaîne a montré des Palestiniens dansant et distribuant des bonbons le 11 septembre 2001, après avoir appris la destruction des tours jumelles du World Trade Center à New York ! Comment les auditeurs et spectateurs peuvent-ils être laissés à la merci d’une présentatrice dont le comportement est comparable à celui d’une hyène, mue par des instincts bestiaux, dépourvue de raison, de logique et de sens commun ? Cette Jomana Namur est l’incarnation typique d’une mentalité tribale, sauvage, barbare, elle qui a célébré dans la joie le jour où Anouar el Sadate – incontestablement le plus sensé des dirigeants Arabes du vingtième siècle – a été sauvagement assassiné. »

Avant de nous quitter, il nous lance sa dernière question :

« Qui, à votre avis, va gagner les prochaines élections présidentielles aux Etats-Unis ? Laissez-moi vous dire que George Bush va l’emporter sur John Kerry par une victoire écrasante d’au moins 7% (pourcentage élevé pour les Etats-Unis) et tous ceux qui pensent et fonctionnent selon la même logique que Jomana Namur doivent savoir également qu’ils vont avoir devant eux quatre années supplémentaires de frustrations ! »

Dimanche 22 août

Ce soir, mon ami excentrique a eu envie de poser des questions difficiles et de s’interroger sur ce qui se serait passé si l’histoire avait pris un autre cours. Il a commencé par nous demander d’envisager un scénario différent d’événements, comme suit. « Il y a presque quatre-vingt-dix ans », a-t-il commencé par dire, « le Service d’informations britannique (British Intelligence) se partageait en deux écoles de pensée. La première, représentée par le bureau indien du MI-6, avançait que la Grande-Bretagne devait soutenir Abdul Aziz Ibn Saoud, qui étendait son empire vers l’ouest à travers la Péninsule Arabique, après s’être emparé de Riyad, en 1901. L’avocat le plus connu de cette école était John (plus tard Abdullah) Philby, père de la célèbre taupe, Kim Philby. Agent secret du MI-6, de grade élevé, le jeune Philby prit partie pour l’Union soviétique en 1963 lorsque fut révélé publiquement qu’il avait été un agent double et travaillait pour le compte du KGB. La seconde école, incarnée par le bureau Egyptien du MI-6, se prononçait en faveur d’Al Sharif Hussein, qui gouvernait le Hedjaz à partir de La Mecque, pour être sûr de l’emporter sur Ibn Saoud dans la lutte pour le pouvoir au royaume des Arabes. L’avocat le plus connu de cette ligne de pensée était T.E. Lawrence, immortalisé par des livres et par un film sous le nom de Lawrence d’Arabie.

Si cette seconde école avait prévalu, poursuivit mon ami excentrique, le descendant d’Al Sharif, l’actuel roi Abdallah de Jordanie, règnerait aujourd’hui sur un territoire qui correspond à l’actuel Royaume d’Arabie Saoudite plus l’actuel Royaume Hachémite de Jordanie. Si l’histoire avait pris cette tournure, le Wahhabisme aurait été étouffé dans l’oeuf et les choses auraient été très différentes dans la Péninsule Arabique.

Cependant, la victoire d’Abdul Aziz Ibn Saoud sur son rival Hachémite et sa conquête réussie de la plus grande partie de la Péninsule arabique, avec les villes clé de Nadjd et de Hedjaz, ouvrit grande la porte à la propagation du Wahhabisme. Cette doctrine extrémiste, fondée sur les enseignements de Ibn Taymeya, fit des adeptes non seulement dans la Péninsule Arabique mais dans le monde entier, grâce aux pétrodollars. La plupart des centres Islamiques et des écoles créés au cours des quarante dernières années dans différentes parties du monde ont été construits grâce à une combinaison entre le zèle Wahhabite et la fourniture illimitée d’argent du pétrole. Rien d’étonnant, donc, qu’un étudiant sérieux en jurisprudence islamique ne trouve pas trace des doctrines Hanéfite, Shaféite et Malékite ni des croyances Shiites dans ces centres et dans ces écoles. »

Après ce long exposé, mon ami excentrique proposa d’appeler le MI-6 pour déclarer une période de deuil parce que son intelligence l’avait déserté à un moment crucial, entraînant des conséquences désastreuses pour le monde entier.

Dimanche 29 août

Ce soir, notre excentrique ami est arrivé un peu tard… mais n’a pas tardé pourtant à lancer une remarque singulière : « Hier, j’étais en train de lire un journal Arabe lorsque je suis tombé sur les noms suivants, tous sur la même page. Dary (dérivé d’un mot qui signifie bête féroce), Sa’ab (cruel), Mot’eb (difficile à supporter), Mos’ab (impitoyable), Adey (agressif), Mohannad (porteur d‘une épée) et Juhaiman (implacable). Il y avait en outre un prénom féminin, Anoud (entêtée). Une étude sociologique qui tiendrait compte des facteurs géopolitiques pourrait faire comprendre comment on peut affubler ses enfants de tels noms. Le dénominateur commun qui relie ces noms entre eux est la xénophobie, une attitude hostile, inflexible et combative envers autrui »

« Est-ce que vous voulez dire », demandai-je, « que l’environnement culturel Islamique est le dénominateur commun entre ces noms » ? Affirmant avec force que telle n’était pas son intention, il me rappela que selon le biographe du Prophète, Ibn Hashem, lorsque le premier petit-fils de Mahomet naquit, il refusa de l’appeler Harb (guerre) et le nomma Al-Hassan. L’explication du caractère guerrier de ces noms, dit mon excentrique ami, est qu’ils sont un produit de la culture et de la mentalité des tribus bédouines luttant pour leur survie dans les déserts inhospitaliers de la Péninsule Arabique. Dans cet environnement rude, l’Autre est vu comme un ennemi qu’il faut détruire (d’où le nom de Fatek, destructeur), repoussé avec férocité (d’où le nom Dary, férocité) ; il faut lui livrer bataille (d’où le nom de Harb, la guerre) et être sans pitié (d’où les noms de Sa’ab, Mos’ab et Mote’eb, tous trois issus de la même racine d’un mot arabe, signifiant cruel, impitoyable, inflexible). La communication avec l’Autre se fait via le langage de l’épée (d’où le nom Mohannad ou porteur d’une épée), on ne lui fait pas de quartier (d’où le nom Juhaiman, l’implacable). Dans cette société, même les femmes portent des noms comme Anoud (entêtée). Il n’y a rien d’Islamique dans ces noms, poursuivit-il, ils relèvent exclusivement de la culture Bédouine qui s’est développée dans les âpres déserts de la Péninsule Arabique. Ceci est confirmé par le fait que ces noms sont totalement absents d’autres sociétés Islamiques comme l’Egypte, le Maroc, la Syrie, la Tunisie et le Liban. Jamais un paysan Egyptien ne donnerait l’un de ces noms à son fils. Il appellerait son premier-né Saber (patient) et son second fils, longtemps attendu, Shehata ou Shehta, qui signifie charité, en reconnaissance pour la munificence de Dieu qui a répondu à sa prière d’avoir un second fils. Même s’il choisissait un nom se référant à Dieu, il laisserait de côté ceux qui évoquent les aspects terrifiants du Tout Puissant, comme Abdul Jabbar, au profit de ceux qui reflètent Sa nature bienveillante, comme Abdullah, Abdul Latif, Abdul Hafith ou Abdul Ghani. Ce trait de caractère des Egyptiens, plutôt enclins à croire en un Dieu bienfaisant, est profondément enraciné en eux.

Ayant passé de nombreuses années en Afrique du Nord et effectué de fréquentes visites en Syrie et au Liban, je peux affirmer en toute sécurité que ce qui est vrai de l’Egypte l’est également de toutes les sociétés au sein desquelles le caractère sanguinaire des noms dérivés de la culture austère et guerrière des tribus du désert est pratiquement inconnu. J’écris ces lignes dans une région qui s’étend le long de la frontière Egypto-Libyenne où les influences culturelles des deux pays se mélangent et interagissent pour former une culture métissée unique en son genre. Nulle part je n’ai rencontré de noms qui expriment des sentiments conflictuels paranoïdes consistant à projeter sur l’Autre sa propre hostilité et à le considérer automatiquement comme un ennemi. Dans ce coin du nord-ouest de l’Egypte, le nom de Salem (pacifique), est l’un des plus courants, malgré l’environnement rude imposé par la géographie tandis qu’au Soudan, au sud, le nom de Bachir, « annonciateur de bonnes nouvelles », s’entend fréquemment.

Mon ami excentrique termina par ces mots : « Imaginez que vous êtes en train de parler à un homme issu de ces sociétés, qui se présente sous le nom de Fatek ibn Dary el Juhaimy… Que pourriez-vous lui dire d’autre que : « Dieu me protège de votre férocité, de votre destructivité et de votre implacabilité ! ? »

Il existe quatre codes de jurisprudence dans l’Islam orthodoxe. C’est le quatrième, le Hanbalisme, le plus rigide des quatre, qui est enseigné dans les centres et écoles Wahhabites (NDLT).

Tarek Heggy

http://www.heggy.org

Copyright 2007 by Tarek Heggy. Posted at  http://www.mideastweb.org/mon_ami_excentrique_fr.htm

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