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Arabic:
مشوار قصير بين اليهود والمسلمين
Hebrew:
דרשה מוסלמית
Anglais:
Muslim Sermon
Il suffit de traverser le Parc
par le rabbin Burton Visotzky
29 août 2008
New York – New York est traversée par une ligne de démarcation qui sépare la ville en deux
secteurs : l'East Side et le West Side. C'est Central Park. Nous faisons nos délices, nous autres New Yorkais, des
différences culturelles entre ces deux secteurs : à l'Est, les bourgeoises se mettent sur leur trente-et-un pour aller
chez l'épicier, à l'Ouest des auteurs en vue vont au théâtre en blue jean. Mais il y a d'autres contrastes culturels
autour de Central Park, qui laissent une empreinte plus profonde sur notre imaginaire.
Pour ma part, je vis et je travaille dans le secteur ouest de Manhattan. Du taxi qui me conduit au secteur est,
j'aperçois, dressée devant moi, la Mosquée de la 96e rue. Elle a beau être d'un modernisme sans concession, certains
restent convaincus que sa congrégation émerge à peine du Moyen Âge.
Or voici que, juste avant la Pâque juive, l'imam de cette mosquée, Shamsi Ali, accompagné d'une poignée de fidèles, a
fait la traversée de Central Park pour nous rendre visite au Séminaire de théologie juive (JTS) où j'enseigne. Dans un
bref sermon, il s'est exprimé franchement sur les problèmes qui divisent juifs et musulmans en politique, tout en
relevant tout ce qui nous rapproche en religion. Il a été reçu chaleureusement et avec la plus grande attention, comme
il se doit s'agissant d'un proche voisin.
Nous avons rendu la visite, ce qui nous a permis de constater que la traversée de Central Park n'est finalement qu'une
courte promenade. Plusieurs de mes fidèles se dont donc rendus à la Mosquée de la 96e rue pour la prière du vendredi.
L'imam m'avait invité à me tenir debout près de lui dans la rangée des officiants. S'inspirant de textes coraniques, il
a rappelé à sa congrégation qu'il n'y a pas d'obligation en matière de religion et que chaque communauté religieuse a sa
propre voie pour aller vers Dieu. Les musulmans doivent tendre une main amicale à leurs voisins et accueillir
chaleureusement les fidèles juifs de passage, leur dit-il.
Au cas où je me serais demandé ce que les imams prêchent dans leurs mosquées, j'avais ma réponse : rien de moyenâgeux
dans ce prêche. Tout au contraire, je venais d'entendre un plaidoyer pour le 21e siècle, un appel contemporain à la
fraternité, avec une éloquence sans pareil.
L'imam Ali m'a alors invité, moi le rabbin, à parler au millier de musulmans rassemblés devant moi. Je venais de publier
un roman historique, A Delightful Compendium of Consolation, dont le cadre est l'Afrique du Nord au 11e siècle.
L'histoire se déroule à l'époque où juifs et musulmans vivaient ensemble en bonne entente. C'est sur une suggestion de
l'imam Ali que j'évoquai ces époques bénies, tout en reconnaissant les dures réalités des relations judéo-musulmanes
d'aujourd'hui.
Je leur racontai la visite de leurs frères à notre séminaire, précisant que l'imam Ali avait aussi amené dans le même
groupe d'éminents imams indonésiens. Avec fierté, j'expliquai aussi que, sous les auspices du Département d'Etat
américain, notre séminaire avait également accueilli depuis trois ans des imams provenant d'Egypte, de Jordanie, du
Koweït et d'Arabie saoudite. Je leur rappelai combien la solidarité entre voisins est indispensable, surtout à New York,
ville qui compte tant de gens dans le besoin.
Je leur parlai de notre projet de coopération entre le Centre culturel islamique et le Séminaire de théologie juive pour
faire tourner ensemble une soupe populaire. Bien évidemment, les besoins de notre grande communauté new-yorkaise vont
bien au-delà. Mais il y a mainte et mainte façon, chacun selon sa tradition, de faire l'œuvre de Dieu dans un effort
commun.
Une fois terminés mon bref sermon et l'office du vendredi, des dizaines de fidèles musulmans - noirs, bruns, blancs et
de toutes les nuances intermédiaires, Américains et étrangers - sont venus me serrer la main avec des paroles de
bienvenue. Ils se reconnaissaient tous dans le besoin que nous avons de nous respecter les uns les autres. Ils ont
exprimé un soutien sans réserve à nos projets. Ils ont dit la fierté qu'ils éprouvent à l'égard de leur mosquée et leur
joie de voir leur imam faire ainsi le premier pas vers l'autre. Par leur chaleur, par leur hospitalité, ils ont affirmé
le lien étroit qui nous réunit.
C'est par des actes aussi simples que nous nous souvenons de notre prochain et que nous faisons un pas vers la
rédemption : ce petit pas qu'il nous faut faire pour traverser Central Park.
* Le rabbin Burton Visotzky tient la chaire Appleman de midrash et d'études interreligieuses
au Séminaire de théologie juive de New York. Il a écrit A Delightful Compendium of Consolation, paru chez Ben
Yehuda Press. Cet article fait partie d'une série sur les relations judéo-musulmanes écrite pour le Service de Presse de
Common Ground (CGNews).
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